Le ruisseau Molson au début de la colonisation de la Longue-Pointe, première partie


Grâce à une recherche très étoffée d’un généalogiste passionné, Gilles Cadieux, il nous est possible de recenser les anciens noms du ruisseau Molson et les propriétaires des terrains où il coulait dans la Longue-Pointe. En 1998, M. Cadieux cherchait l’emplacement exact de la concession de son ancêtre, Jean Cadieu. Par cette recherche, il nous offre des extraits historiques éclairants ! On y apprend que la rue Notre-Dame Est, entre la rue Sainte-Catherine et l’autoroute 25, est à l’époque la Côte Saint-François. On nous y déclare comment ne pas confondre les ruisseaux Migeon et Molson. Par la découverte de l’abrégé historique de M. Olivier Maurault de 1924 sur la Longue-Pointe, Gilles Cadieux nous avait offert la référence sur les anciens noms du ruisseau Molson que j’ai utilisé à profusion : « Ce ruisseau de la Grande Prairie aurait porté plusieurs noms au cours des siècles : ruisseau des Soeurs, ruisseau des Anges et beaucoup plus tard ruisseau Molson, nom sous lequel il est connu aujourd'hui. Or, ce ruisseau des Soeurs aurait été la limite ouest de la côte Saint-François, venant immédiatement après la côte Saint-Martin, selon M. Olivier Maurault, dans Saint-François d'Assise de la Longue-Pointe, (abrégé historique, Montréal, 1924, p. 59). » Ajoutons que le ruisseau de la Prairie ou de la Grande Prairie semble être le nom originel donné par les premiers colons, et que ruisseau des Anges ou des Soeurs ne se rencontrent pas dans les actes notariés de l’époque. Ce sont des noms transportés de bouche à oreille et par d’autres récits, dont celui du Comte de Maurès de Malartic dans Campagne au Canada de 1755 à 1760 : « J'y ai vu défiler le régi­ment de R. Roussillon qui va garder le terrein entre le ruisseau des Sœurs et celui de Migeon. » Je reviendrai sur les textes et recherches d’Olivier Maurault dans une deuxième partie à venir (Le ruisseau Molson au début de la colonisation de la Longue-Pointe, deuxième partie).

La recherche de Gilles Cadieux est exceptionnelle à plusieurs points de vue, il a entre autres localisé avec des plans de son cru les lots originaux de la Côte Saint-François grâce au Livre Terrier de la Seigneurie de l'île de Montréal des Sulpiciens. Il a même fait la concordance avec les lots originaires du cadastre officiel de la Longue-Pointe, ainsi que plusieurs autres concordances avec d’autres références que je vous laisse découvrir plus bas. L’endroit où le ruisseau Molson se jetait dans le fleuve semble avoir été déterminant sur son nom. En 1665, c’est sur les lots (995-996) de Jacque Beraud que le ruisseau de la Grande Prairie termine sa course. Je sais qu’ensuite, par Olivier Maurault, que la concession « No 995, fut faite aux Sœurs de la Congrégation », d’où l’apparition du nom ruisseau des Soeurs. Il y a, à la même époque, vers 1702, un Pierre Trutteau propriétaire du lot 998. Le ruisseau qui nous intéresse y passait aussi et le nom Trutteau a aussi laissé sa trace pour ce dernier. Beaucoup plus tard, à la fin du XIXe siècle, les familles Molson et Greece sont propriétaires des terrains à l’embouchure du ruisseau. Le ruisseau Grece ou Greece, francisé par le « ruisseau de la Grive ou Grise », est toujours colporté jusqu’à nos jours. Mais c’est le nom de ruisseau Molson qui est officiellement inscrit sur de multiples cartes de la ville de Montréal. C’est pour cette raison que j’ai choisie ruisseau Molson pour mes propres recherches, malgré que je préfère de loin le nom de ruisseau de la Grande Prairie.

Henry W. Hopkins, Atlas of the city and island of Montreal, s. l., Provincial Surveying and Pub. Co., 1879


Je vous laisse maintenant parcourir le texte original et complet de Gilles Cadieux « Localisation de la concession de Jean Cadieu à la Côte Saint-François ». Je l’ai numérisé récemment aux Archives nationales du Québec (BAnQ) , et fait le travail de conversion du texte en image vers du texte HTML. Je crois que c’est une première ! Ce texte n’étant disponible que par brides grâce aux Livres Google. Les plans de M. Cadieux sont une référence importante pour n’importe quel chercheur sur la Longue-Pointe historique. En espérant que ce travail trouve bon emploi ! Bonne lecture !  


Localisation de la concession de Jean Cadieu à la Côte Saint-François

Gilles Cadieux (6969) 

En 1667, il n'y a aucun doute, Jean Cadieu est installé à la côte Saint-François ou Longue-Pointe. Mais où exactement ? La question est d'importance, car c'est à ce dernier endroit que s'écoulera le reste de ses jours. Mais c'est là une question difficile à laquelle nous allons tenter de répondre avec le plus de précision possible, même si en histoire, la précision des lieux ou du temps est un des buts les moins faciles à atteindre. 

L'acte de concession du 8 décembre 1665 nous dit un peu vaguement ceci :  « ... au dessous du second ruisseau, sur une terre de deux arpents sur le bord de la grande Rivière ou fleuve St Laurens sur quinze arpents de profondeur, tenant d'un côté à la terre concession de Daniel Panier dit La Plante ... d'autre côté aux terres non concédées. » 

Dans l'Aveu et Dénombrement de 1731, excluant la paroisse de Montréal, proprement dite : 
« La première, sous le titre de l'Enfant-Jésus, située au lieu appelé la Pointe-aux-Trembles ... la seconde sous le titre de Saint-François, située sur le bord du fleuve au lieu appelé la Longue-Pointe et de l'étendue pour le front du terrain qui se trouve depuis le dernier habitant de ladite paroisse de la Pointe-aux-Trembles en remontant jusqu'au premier habitant qui compose la banlieu, ledit front de deux lieues ou environ. » 

Une lieue française fait 84 arpents, ce qui donne pour le front de la côte Saint-François, selon ce document, 168 arpents. 

Ce même document de 1731 décrit trente-quatre emplacements occupant tout le territoire de la côte Saint-François, sans compter l'emplacement du fort qui avait un arpent carré à l'intérieur duquel l'église en pierre Saint-François et le presbytère se trouvaient, fort « clos de pieux et bastionné ». Sur ces trente-quatre emplacements, un seul n'avait pas front sur le fleuve, celui de Blaise Juillet, qui est décrit comme étant de quatre arpents de front sur dix arpents de profondeur et situé « au bout de la profondeur de l'emplacement de Jacques Aubuchon Lespérance ». Mais Blaise Juillet possédait en plus un emplacement de deux arpents ayant front sur le fleuve et dont on tiendra compte, évidemment, dans le calcul ci-après. 

Sur les trente-trois emplacements ayant front sur le fleuve : 
12 ont 2 arpents, 0 perche, 0 pied
1 a 2 arpents, 5 perches, 0 pied
12 ont 3 arpents, 0 perche, 0 pied
1 a 3 arpents, 9 perches, 0 pied
4 ont 4 arpents, 0 perche, 0 pied
1 a 4 arpents, 1 perche, 9 pieds
1 a 4 arpents, 5 perches, 0 pied
1 a 5 arpents, 5 perches, 0 pied
1 a 5 arpents, 8 perches, 0 pied
1 a 6 arpents, 0 perche, 0 pied


PLAN I - LA CÔTE SAINT-FRANÇOIS - 1665-1666
LES PIONNIERS


Ce qui fait un total de 102 arpents, 3 perches et 9 pieds ou 18,423 pieds ou 1.021 lieues, à la mesure française ; ce qui est assez loin du front de « deux lieues ou environ » mentionné dans l'Aveu et Dénombrement. À la mesure anglaise, cela donne 19,620 pieds ou 3.71 milles. Voilà qui nous donne une longueur assez précise de la côte Saint-François en 1731. Et c'est sur ce front de plus de trois milles qu'il faut localiser la concession de Jean Cadieu. 

L'acte de concession de 1665 en faveur de Jean Cadieu nous avait précisé « au dessous du second ruisseau », ou pour employer le vocabulaire d'aujourd'hui, « à l'est du second ruisseau ». De quel ruisseau s'agit-il et où pouvait être situé ce « second ruisseau » ? 


Carte de « l'isle de Montréal et de ses environs », N. Bellin, 1744

Une carte de « l'isle de Montréal et de ses environs » dressée par l'ingénieur de la Marine, N. Bellin, en 1744, identifie dans cette partie de l'île deux ruisseaux : le ruisseau Migeon et le ruisseau de la Grande Prairie. Ce ruisseau de la Grande Prairie aurait porté plusieurs noms au cours des siècles : ruisseau des Soeurs, ruisseau des Anges et beaucoup plus tard ruisseau Molson, nom sous lequel il est connu aujourd'hui. Or, ce ruisseau des Soeurs aurait été la limite ouest de la côte Saint-François, venant immédiatement après la côte Saint-Martin, selon M. Olivier Maurault, dans Saint-François d'Assise de la Longue-Pointe, (abrégé historique, Montréal, 1924, p. 59). Les notaires du XVIIe siècle, quant à eux, décrivent toujours ce ruisseau sous le nom de « ruisseau de la grande prairie ». Dans aucun acte notarié, je n'ai rencontré l'expression : ruisseau des Soeurs ou ruisseau des Anges. Ce ruisseau des Soeurs ou plutôt Molson est très bien indiqué sur n'importe quelle carte de Montréal, relativement récente, à l'ouest de la rue Lacordaire-Dickson. C'est donc à l'est ou « au dessous », comme on disait à l'époque, de ce ruisseau Molson que se trouvait la concession de Jean Cadieu à la côte Saint-François. 


PLAN II - LA CÔTE SAINT-FRANÇOIS EN 1702
D'après la carte de VACHON de BELMONT 


Quant à la référence à Daniel Panier dit Laplante, qui serait le voisin immédiat de Jean Cadieu, elle ne nous sera d'aucune utilité, car ce dernier semble n'avoir jamais habité sur sa concession de la côte Saint-François. J'ignore la date d'octroi de celle-ci et, sans avoir fait une recherche particulière sur cette concession, il semblerait que Daniel Panier en aurait été vite dépossédé, en vertu du droit de retrait, pour être octroyée de nouveau à Pierre Meunier qui deviendra par ce fait le nouveau voisin de Jean Cadieu. Si l'on se fie au recensement de 1667, on voit que Daniel Panier est voisin alors de Louis Fontaine, une recrue de 1653, et de Jacques Morin, et qu'il a défriché dix arpents de terre, mais sur un emplacement qui paraît situé sur la rive gauche de la rivière Saint-Pierre, donc tout à l'opposé de la côte Saint-François. Enfin, Jetté, dans son Dictionnaire, nous apprend que Daniel Panier serait repassé en France avec sa famille après le 7 janvier 1669. Une procuration émise de la généralité de Poitiers et annexée à une quittance par François Brau, mandataire de Daniel Panier, reçue devant Me Basset, le 30 septembre 1677, atteste que ce dernier est retourné vivre à La Rochelle. Nous pouvons donc, et devons, ignorer ce Daniel Panier. 

Avant de poursuivre notre tentative de localiser la concession de Jean Cadieu, reste à découvrir l'endroit du fort de la Longue-Pointe. Car la côte Saint-François a eu son fort ou redoute pour se protéger des attaques iroquoises, comme toutes les autres côtes de l'île. 


Le fort de la Longue-Pointe 

Il est plus difficile de savoir en quelle année ce fort fut construit que de connaître l'endroit où il fut érigé. Précisons qu'il s'agissait d'un fort en bois et non en pierre. 

Selon M. Olivier Maurault, dans l'ouvrage déjà cité, « le seul document authentique qui aurait pu fixer la date d'érection de ces ouvrages de défense a été perdu lors d'une bataille navale entre Français et Anglais : c'était une carte dressée par l'ingénieur Gédéon de Catalogne. Morin dans son Album du Vieux-Montréal, publie une carte historique de l'île de Montréal, où figurent les forts et les chapelles. Il a dû la reconstituer lui-même. Selon cette carte, le fort de la Pointe-aux-Trembles daterait de 1675, et celui de la Longue-Pointe, de 1724 seulement. Mais ici il y a erreur. M. Ruffin de la Maraudière, curé de 1736 à 1741, témoigne que la première chapelle de la Longue-Pointe était auprès de l'ancien fort, dont il ne reste que les fondations de son temps; et l'on sait par les archives de la paroisse que cette chapelle existait déjà au moins en 1719 ». (Saint-François d'Assise de la Longue-Pointe, p. 60). 

M. Maurault conteste à bon droit cette date beaucoup trop tardive de 1724 pour l'érection du fort de la Longue-Pointe. Pour ma part, j'ai trouvé trois références à ce fort dans trois contrats du notaire Pierre Raimbault, père, en date respectivement du 16 mars 1698, 1er juin 1699 et 18 août 1699. Dans ces contrats, trois habitants de la côte Saint-François sont décrits comme « demeurant au fort Saint-François de la Longue-Pointe ». Voilà une preuve que ce fort date de la fin du XVIIe siècle et qu'il a été bâti bien avant 1724. C'est la plus ancienne référence à ce fort que j'ai pu trouver à ce jour. Mais nous sommes encore loin de l'époque de Jean Cadieu, décédé en 1681. Si on ne peut se prononcer sur la date précise de l'érection du fort de la Longue-Pointe, on peut affirmer cependant qu'il n'existait pas de chapelle à cet endroit, du vivant de Jean Cadieu, ce qui obligeait ce dernier à se rendre à la chapelle de l'Hôtel-Dieu pour y remplir ses devoirs religieux. Le territoire de la Longue-Pointe ne fut érigé en paroisse qu'en 1721 et n'eut son propre curé qu'en 1724. Quant au fort, la preuve de son existence avant 1698 reste à faire. 


PLAN III - LA CÔTE SAINT-FRANÇOIS EN 1731
D’après l’Aveu de Dénombrement de 1731

Peu importe donc si ce fort existait du vivant de notre ancêtre (ce dont je doute), il nous faut connaître l'endroit où il était situé pour mieux localiser la concession de Jean Cadieu. 

Notre première source de renseignements sera l'Aveu et Dénombrement de 1731 qui nous dit que « Prudent Vinet et Joseph Aubuchon Lespérance ont donné un arpent de terre en carré sur lequel sont construits en pierre ladite Eglise St-François et le presbitaire ; ledit arpent de terre enfermé dans le fort clos de pieux et bastionné ». 

La carte de l'île de Montréal dressée par A. Jobin, en 1834, situe l'ancien fort de la Longue-Pointe à l'extrémité de cette pointe de terre avançant dans le fleuve, au sud-ouest du chemin de Saint-Léonard, et au sud de la rue Notre-Dame, sur la rive du fleuve. C'est donc à cet endroit qu'il faut situer également les terres de Prudent Vinet et de Jacques Aubuchon Lespérance (le prénom de Joseph, pour Aubuchon, à l'Aveu et Dénombrement est sans doute erroné). Il faut noter que les Aubuchon et les Vinet ne sont arrivés à la côte Saint-François que plusieurs années après la première vague des pionniers de 1665-1666. Jean Aubuchon a acquis les deux concessions qui porteront les numéros 1258 et 1259 au Terrier des seigneurs de Montréal, du menuisier Claude Raimbeau, le 10 octobre 1681, devant le notaire Claude Maugue. Quant aux Vinet, ce n'est qu'en 1696, selon ce même Terrier, que l'on voit l'ancêtre Jean Vinet acheter de Jacques Aubuchon une partie de terre à la côte Saint-François. 

Enfin, le Terrier des seigneurs de Montréal nous confirmera que c'est sur la concession numéro 1259D que se trouve le terrain de l'église d'un arpent donné à la fabrique le 15 septembre 1729 par Jacques Aubuchon dit l'Espérance et Prudent et François Vinet. Cette concession numéro 1259D avait été accordée en premier lieu à Pierre Charron le 28 juillet 1666. En recevant le fort et l'église, cette concession devenait le centre défensif et religieux de la côte. 

Localisation de la terre de Jean Cadieu 
A) Au XVIIe siècle

Au Terrier des seigneurs de Montréal, c'est sous le numéro 1251D que Jean Cadieu apparaît propriétaire d'une concession de deux arpents sur quinze et grevée de trois deniers tournois par arpent, à titre de cens, payables à la Saint-Remy de chaque année, soit le premier octobre. Or le fort de la Longue-Pointe se trouvant sur le lot 1259D, la concession de Jean Cadieu en était distante de quatorze arpents au-dessus ou plutôt à l'ouest, comme on dit de nos jours. Toutes ces concessions ont deux arpents de largeur. 

Quant à la distance à parcourir de la côte Saint-François à la ville, elle était d'environ deux lieues ou six milles. Il fallait, pour s'y rendre, en empruntant le chemin de terre qui longeait la rive du Fleuve, traverser les terres de la côte Saint-Martin, puis celles de la côte Sainte-Marie dont les habitations proches des fortifications formaient le faubourg Québec, et le chemin qui traversait le faubourg portait le nom de chemin ou rue Sainte-Marie devenue la rue Notre-Dame, plus tard. Et le voyageur entrait dans la ville par la porte Saint-Martin ou porte de Québec (à la hauteur de la rue Berri ou Saint-Hubert). De là, il s'engageait dans la rue Saint-Paul pour aller là où il voulait dans la ville. La rue Notre-Dame, à cette époque, aboutissait du côté est à un monticule couronné d'une modeste forteresse: la citadelle, qu'il fallait obligatoirement contourner par la rue Saint-Paul. C'est le chemin qu'a dû emprunter Jean Cadieu chaque fois qu'il devait venir à la ville par le chemin de terre soit pour un baptême, un mariage ou soit pour payer chaque année, le premier octobre, les « cens et rentes » aux Messieurs du séminaire, en leur maison seigneuriale de la rue Saint-Paul. À noter qu'à cette époque, les fortifications n'étaient qu'une enceinte de pieux. Jean Cadieu n'a pas connu la muraille de pierre dont la construction fut ordonnée par l'intendant Bégon dès le 6 novembre 1714, mais qui ne sera terminée qu'en 1741.


PLAN IV - CONCORDANCE entre les lots originaires du cadastre officiel et les numéros des concessions au Terrier des seigneurs de Montréal

PLAN IV - CONCORDANCE (suite)

En 1667, la côte Saint-François est déjà toute occupée par des censitaires, à partir de la dernière concession de la côte Saint-Martin, à l'ouest, soit depuis le lot numéro 995D inclusivement jusqu'à cette partie de la côte appelée le « Bois Bruslé » soit jusqu'au lot 1267D exclusivement. On peut ainsi compter trente-cinq emplacements, dont deux seulement, les lots 996D et 1265D, présentent un défaut de preuve d'occupation en 1667. Et si on se fiait au recensement de 1667, voici l'ordre des habitants à la côte Saint-François: Charles Lemoyne, Pierre Goguet, Jean Cadieu, Pierre Meunier, Urbain Beaudereau dit Graveline, Pierre Vauchy, René Filastreau, Pierre Geoffrion, Toussaint Hunault et Julien Ladverty.

L'ordre de ce recensement est corroboré dans le cas de Jean Cadieu par au moins deux documents officiels. En premier lieu, mentionnons l'acte de concession de Pierre Goguet, qui est en date du 9 décembre 1665 (lendemain de celui de Jean Cadieu) et qui décrit la concession de Pierre Goguet comme étant voisine de celle de Jean Cadieu. De plus, le terrier des seigneurs donne le numéro 1252D à la concession de Pierre Goguet. En deuxième lieu, l'acte de vente de Pierre Meunier (le parrain de Pierre Cadieu) en faveur de Paul Tessier, reçu devant Me Bénigne Basset, le 12 mars 1676, nous dit que la concession de Meunier tient « d'un côté à la concession de Jean Cadieu (1251D) et d'autre (côté) à celle d'Urbain Baudereau dit Graveline », ce dernier, successeur de Robert Perrois et de René Moreau (1249D); ce qui est conforme à l'ordre du recensement de 1667.

Mais pour Charles Lemoyne et Pierre Geoffrion, on ne les retrouve tout simplement pas à la côte Saint-François en 1667. Et quant aux autres, Pierre de Vanchy (lot 1245D), René Filastro (lot 1241D), Toussaint Hunault (lot 1002D) et Julien Laverty dit Langevin (lot 1001D), ils sont bien là en 1667, mais on constate que l'ordre nominatif du recensement de 1667 a été quelque peu bousculé par rapport à l'ordre numéroté des concessions apparaissant sur le plan de la côte Saint-François, d'après le terrier des seigneurs.

Voilà qui situe la concession de Jean Cadieu au XVIIe siècle : à deux lieues de la ville, à quatorze arpents au-dessus du fort de la Longue-Pointe, avec comme voisins immédiats : Pierre Goguet à l'est, et Pierre Meunier à l'ouest, jusqu'en 1676, et auquel succédera Paul Tessier.

B) Aujourd'hui

Pour arriver à localiser la concession de Jean Cadieu sur le territoire de la Longue-Pointe d'aujourd'hui j'ai dû échafauder plusieurs plans et hypothèses afin de faire concorder les mesures des concessions apparaissant au terrier des seigneurs de 1665 et 1666 avec les mesures des terres du cadastre officiel de la paroisse de la Longue-Pointe dont le plan a été déposé le 30 avril 1874. Ce territoire fut heureusement conservé comme « la campagne » de Montréal jusqu'au début du siècle, mais a subi par la suite des transformations, additions et modifications profondes par l'agrandissement du port et par l'implantation d'usines et de grandes industries. Le dernier coup à frapper cette région pour la rendre à jamais méconnaissable a été le tracé de l'autoroute 25 conduisant au pont-tunnel Louis-Hippolyte Lafontaine. Le tracé de cette autoroute passe par le coeur de ce qui était autrefois le village de la Longue-Pointe. En rasant l'église paroissiale Saint-François-d'Assise et tous les bâtiments autour pour permettre les approches du pont-tunnel, c'est le coeur même de la côte Saint-François qu'on charcutait tandis que l'autoroute qui y conduit laisse dans le paysage intérieur une cicatrice de béton inaltérable. De la sorte, la rive du fleuve est aujourd'hui inaccessible et la principale voie d'accès à ce secteur de l'île demeure la vieille rue Notre-Dame, de beaucoup élargie, et qui a remplacé le chemin du Roi ouvert jadis par les défricheurs de la côte. C'est dire qu'ici les points de repère du XVIIe siècle sont rarissimes et qu'il faut accepter de travailler sur le terrain avec une certaine marge d'erreur.

Une première difficulté vient du fait que les mesures des concessions au terrier ne correspondent pas toujours avec les mesures apparaissant dans les actes notariés. Une autre difficulté nous attend avec la concession contiguë à celle de Jean Cadieu et située du côté ouest, celle de Pierre Meunier. Ce dernier a reçu des seigneurs de Montréal une concession de deux arpents sur quinze, le 28 juin 1666. Il a revendu à Paul Tessier la même concession en 1676 en indiquant toujours deux arpents de largeur. Mais en 1678, on se rend compte que la concession a trois arpents moins une perche de largeur et on concède audit Paul Tessier « neuf perches de large faisant partie de la devanture » de ladite concession. Ces neuf perches, soit 162 pieds à la mesure française et 172,53 pieds à la mesure anglaise, représentaient-elles un surplus de terrain? Je ne sais, mais dans tous les calculs je tiens compte de cette largeur de deux arpents et neuf perches pour la concession numéro 1250D.

Autre difficulté résultant du cadastre celle-là. La largeur de certaines terres n'est pas indiquée à cause de leur forme irrégulière. On ne mentionne alors que la superficie. C'est le cas du lot originaire 337 du cadastre de la paroisse de la Longue-Pointe auquel je donne quatre arpents de largeur, souhaitant ne pas trop me tromper. Le même problème se présente pour les lots d'origine 395 et 401 auxquels je donne respectivement trois arpents quatre perches de largeur et un arpent trois perches. Mais l'incertitude quant à la largeur de ces trois lots ne peut nuire à la recherche de la localisation de la concession de Jean Cadieu car ils sont situés bien au-delà de cette dernière, plus à l'est.

Ainsi, après avoir étudié plusieurs hypothèses et plans de concordance entre les concessions du Terrier et les lots du cadastre de la paroisse de la Longue-Pointe, je suis arrivé aux conclusions suivantes :

1- La côte Saint-François, de la concession numéro 995 à la concession numéro 1277, comprenant alors 46 concessions, mesurerait 101 arpents et 9 perches de longueur et ce, en donnant trois arpents de largeur à chacune des concessions 995 et 996; et deux arpents neuf perches à la concession 1250D de Pierre Meunier. La côte Saint-François s'étend alors de la côte Saint-Martin, à l'ouest, jusqu'à la côte Saint-Jean ou paroisse de la Pointe-aux-Trembles. Ce territoire inclut donc la côte Sainte-Anne qui, selon la carte de Vachon de Belmont de 1702, commençait à la concession 1669D appartenant à Louis Marie dit Sainte-Marie.

2- Selon la carte de Vachon de Belmont, la côte Saint-François ne commencerait qu'à la concession numéro 998, le fief D'Ailleboust et l'emplacement des soeurs de la Congrégation faisant alors partie de la côte voisine, Saint-Martin. Et selon le même Vachon de Belmont, la côte Saint-François s'arrêterait à la concession numéro 1269, pour la largeur d'un arpent seulement, et qui appartenait à un nommé Pigeon. Avec cette carte de 1702, la côte Saint-François ne compterait alors que 24 concessions, plusieurs ayant été regroupées ou rattachées pour ne former qu'un seul emplacement de trois, quatre ou six arpents de largeur. Et ces 24 concessions totaliseraient soixante-dix (70) arpents de largeur seulement. Mais si on ajoute les 5 arpents 8 perches du domaine des soeurs de la Congrégation et les 4 arpents du fief D'Ailleboust, plus, les 22 arpents formant la côte Sainte-Anne, selon Vachon de Belmont, on a alors une largeur totale de 101 arpents 8 perches pour la côte Saint-François. On est donc à une perche près (18 pieds français ou 19.17 pieds anglais) du résultat apparaissant à la conclusion numéro 1 ci-dessus.

3- Si on se reporte à l’Aveu et Dénombrement de 1731, la côte Saint-François compterait trente-trois emplacements totalisant 102 arpents, 3 perches et 9 pieds (mesure française) ou 1,021 lieue française, comme on l'a vu précédemment.

PLAN V - Concession de Jean Cadieu. Emplacement sur plan de cadastre récent (avant rénovation).


4- Enfin, au cadastre officiel de la paroisse de la Longue-Pointe, en partant du lot originaire numéro 5 jusqu'au lot originaire numéro 409, il y a 41 terres ayant façade sur le fleuve Saint-Laurent et totalisant 103 arpents 4 perches et 12 pieds (mesure française) et ceci en donnant 4 arpents au lot 337; 3 arpents 4 perches au lot 395 et 1 arpent 3 perches au lot 401. Malgré un léger écart avec les résultats précédents on constate que le cadastre de la paroisse de la Longue-Pointe a été établi en respectant de très près l'alignement et les mesures des concessions du terrier des seigneurs.

5- En faisant la concordance des concessions du régime français avec les terres du cadastre officiel de 1874 on arrive à un certain écart dû à l'absence de mesure de largeur de certaines terres du cadastre. De plus, les limites de la côte Saint-François et celles de la paroisse de la Longue-Pointe pouvaient ne pas coïncider parfaitement et nécessairement. Cet écart entre les concessions du terrier et les terres du cadastre serait d'un arpent cinq perches (270 pieds français ou 287.55 pieds anglais) en surplus du cadastre. Mais cet écart me paraît venir des terres situées en bas (à l'est) de la côte Saint-François et n'influe pas sur la concordance entre la concession numéro 1259 et le lot originaire du cadastre numéro 389 (site de l'église et du fort), notre principal point de repère. Et cela est tout à fait conforme aux données du plan du cadastre et du terrier des seigneurs. Et cela nous permet en même temps de trouver la concordance entre la concession numéro 1251D de Jean Cadieu et le lot originaire du cadastre de la paroisse de la Longue-Pointe existant aujourd'hui.

PLAN VI - Concession de Jean Cadieu à la hauteur de Notre-Dame Est (lot 1251D) 


Ainsi, après toutes ces longues considérations et ces calculs fastidieux, je soumets que la concession de Jean Cadieu portant le numéro 1251D au terrier des seigneurs de Montréal et mesurant deux arpents sur quinze, soit 360 pieds français (383.4 pieds anglais) correspondrait au lot 325-987 du cadastre de la paroisse de la Longue-Pointe pour neuf perches, soit 162 pieds français (172.53' pieds anglais) et au lot 326-521 du même cadastre pour onze perches, soit 198 pieds français (210.87 pieds anglais). Au total cela fait 383 pieds anglais ou l'équivalent de la largeur de deux arpents.

À la hauteur de la rue Notre-Dame, la concession de Jean Cadieu irait de la rue Haig, à environ 17 pieds à l'est de cette rue, jusqu'à 38 pieds à l'ouest de l'avenue Émile-Legrand. Et pour se situer par rapport aux bâtiments existants, c'est l'usine de la Maison Catelli (6888-6890, rue Notre-Dame est) qui occupe tout cet espace, sur le côté sud de la rue Notre-Dame, l'usine débordant et du côté ouest et du côté est. Les terrains de l'usine comprennent la totalité des lots 43-2, 325-987 et 326-521 du cadastre de la paroisse de la Longue-Pointe. La profondeur des lots à cet endroit, de la rue Notre-Dame au terrain de la Commission du Hâvre de Montréal, qui longe la rive du Fleuve, est d'environ quatre arpents. C'est sans aucun doute dans cet espace que devaient se trouver la maison de bois de l'ancêtre et les bâtiments de la ferme; le chemin du Roi devant se trouver alors assez près de la rive.

PLAN VII - Terres du cadastre de la Longue-Pointe / Terres du terrier des Sulpiciens


Pour étayer la précision et l'exactitude de la localisation de la concession de Jean Cadieu à cet endroit, on peut calculer la distance entre le lot 326-521 du cadastre, correspondant à ladite concession, et le lot 389 du même cadastre, sur lequel était érigée l'église paroissiale Saint-François d'Assise et l'on arrive à quatorze arpents. Or, ici, il y a parfaite concordance avec la distance de quatorze arpents séparant la concession numéro 1251D de Jean Cadieu de la concession numéro 1259D du terrier des seigneurs, sur laquelle se trouvaient et le fort et l'église primitive, comme on l'a déjà mentionné.

Autre point de concordance à souligner: au livre de renvoi du cadastre officiel de la paroisse de la Longue-Pointe, qui contient la description des terres et le nom de leurs propriétaires, on constate que le lot originaire numéro 325 est inscrit au nom de William Leney, graveur anglais, assez célèbre semble-t-il, et le lot originaire numéro 326, aux noms de Andrew Leney, fils de William et d'Uriach Cleary. Or, le cadastre abrégé de la seigneurie de l'isle de Montréal, du 24 août 1861, indique comme propriétaire du terrain connu autrefois sous le numéro 1251 du terrier, William Leney. Ainsi donc, de William Leney et Catelli à Jean Cadieu, c'est près de trois siècles d'histoire qui ont été écrits sur ce coin de terre, en passant par les beaux noms français des Maricourt, Tessier, Janot dit Lachapelle et Millet dit Latremouille, qui se sont succédés à un moment ou l'autre sur la terre de l'ancêtre comme défricheurs et agriculteurs.

BIBILOGRAPHIE
CADIEUX, Gilles. « Localisation de la concession de Jean Cadieu à la Côte Saint-François », Mémoires de la SGCF. Vol. 49, No 2 (été 1998), p. 95-107


Ce texte tiré de la revue Mémoires de la Société généalogique canadienne-française est téléchargeable ici en version originale ; numérisation fait en juin 2018 (PDF).



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